Costumière au théâtre

Echange avec Marguerite Bordat, costumière de la création Tartuffe

Comment s’est construite la base de votre travail ?

Il faut partir de très loin. En fait, il faut partir du fonctionnement d’Eric Lacascade. C’est la 3ème création que je fais avec lui et jusque-là, on a toujours travaillé sur du contemporain. 

Pour moi, si l’on veut obtenir du résultat en costume, il convient de ne pas penser de suite au résultat. Avant cela, il est important de construire son travail à partir de l’acteur, car dans le travail d’Eric, tout part du comédien. C’est une des raisons pour lesquelles il est primordial d’être présent et vigilant durant la période de création et de répétition

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C’est à ce moment-là que tout se construit (le travail de recherche se fait avec eux). Tout se met en place à partir de ce que l’équipe et les comédiens peuvent me proposer et de ce que je peux leur offrir à mon tour. Il s’agit donc d’un travail progressif et collectif, tout du moins au début. 

Normalement, avec Eric, je commence le premier jour des répétitions de cette manière : j’amène un stock de vêtements que j’ai sélectionné en fonction de ce que j’ai imaginé grâce aux éléments que l’on m’a donnés sur la pièce. Je ne pense pas du tout à l’époque dans laquelle se joue la pièce à cette étape-là, en tout cas je n’en fais pas un repère. J’essaie juste d’imaginer le contexte. 

Par exemple, lorsqu’on a travaillé sur Les estivants de Gorki, les personnages étaient dans un contexte de vacances. 

Ma réflexion s’est alors basée sur ce à quoi pourrait ressemblé leurs vêtements en dehors de leur quotidien, qu’est-ce que ces gens porteraient en mode «vacances». Ici, on n’est pas dans une démarche de recherche historique. On n’a pas forcément besoin de signifier une époque du texte pour faire vivre les costumes de la pièce. 

Quand Eric m’a recontactée pour travailler avec lui sur Tartuffe, il m’a annoncé de manière très claire que le texte était en alexandrin et qu’il trouvait compliqué de l’associer à un costume contemporain

A partir de cette information-là, nous n’avions plus le choix, nous étions obligés de réfléchir en fonction d’une date, de l’époque de Molière, à savoir l’époque du 17ème siècle. C’était donc la contrainte de départ. 

La seconde est née d’une longue discussion, de laquelle est ressortie l’idée de partir sur un collectif. 

C’est-à-dire un uniforme, un vêtement commun, une base unique pour tous les comédiens. Mais pas un vêtement du 17ème siècle qui cherche à raconter la place sociale d’un personnage au sein de la pièce: plus d’un vêtement du 17ème siècle qui réunirait tous les comédiens pour jouer la pièce. 

Cela voudrait donc dire que tous les comédiens sont plus ou moins habillés de la même façon?

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En réalité, nous sommes partis sur une base qui est en effet la même pour tous. Les femmes d’un côté et les hommes de l’autre. Cette base nous permettra ensuite d’intervenir à nouveau.


Ce qui est intéressant dans les répétitions qui se déroulent actuellement, c’est de voir la manière dont les comédiens s’approprient le costume proposé. Si on lui laisse un peu de liberté, est-ce-que le comédien ou la comédienne va mettre son manteau par-dessus une chemise ou par-dessus un tee-shirt ?

Qu’est-ce que le costume raconte lorsque le comédien est seul, et lorsqu’il est à côté d’une femme qui elle, porte une robe longue; alors que lui est en pantalon simple et en chemise ?

Dans cette situation, il arrive que l’image ne soit plus tellement en accord avec l’époque que l’on cherche à faire naître. Mais elle nous renvoie à autre chose. Il faut essayer de la comprendre et d’en tirer un maximum d’informations. Parfois il suffit d’ajouter un simple élément pour que l’on se retrouve plongé dans l’époque souhaitée.

Là aussi, nous avons besoin de nous mettre en situation pour le voir. Tous ces éléments sont des surprises réservées au temps de répétitions, car il est toujours très difficile de les appréhender plus tôt.

Lorsqu’Eric Lacascade vous a proposé cette idée d’uniformiser les costumes, comment avez-vous appréhendé cette contrainte ?

Lorsque Eric m’a proposé de réfléchir sur cette idée d’uniforme commun, j’ai essayé de mon côté de trouver du sens à cette proposition.

Nous nous sommes dits: Lorsqu’Eric Lacascade vous a proposé cette idée d’uniformiser les costumes, comment avez-vous appréhendé cette contrainte? «Et si c’était Orgon et Tartuffe qui imposaient cette tenue du 17ème au sein de cette maison ?» Un peu comme les Mormons. L’idée qu’en dehors de cette maison, nous ne sommes pas forcément à l’époque du 17ème siècle.

C’est-à-dire que dès que l’on franchit la porte, il se peut qu’on soit dans une toute autre époque.

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Du coup ça offre pas mal de liberté. On peut se permettre à un moment donné d’introduire des éléments plus actuels comme des baskets, faire apparaître un pull, etc.

Après nous nous devons rester vigilants sur le fait qu’il ne doit pas y avoir de contre-sens ou encore de faux signes. Je pense que la principale difficulté de mon travail se concentre là-dessus.

Ce qui s’oppose un peu au travail habituel du costumier qui désire faire de belles images.

Dans ce projet, il est important de créer quelque chose qui ait de la force. Mais notre attention n’est pas forcément d’amener des projets costumes qui sont très visibles. Et c’est finalement cette démarche-là qui demande vraiment beaucoup de travail.

On cherche plus à effacer quelque chose qu’à donner à voir quelque chose, pour vraiment laisser un maximum de place au jeu.

Marguerite Bordat au théâtre Vidy-Lausanne durant la période de confection des costumes.