Thomas Jolly

Une fresque théâtrale hors du commun

Près de 20 comédiens, 15 actes, 12.000 vers, 8 heures de théâtre à savourer ! Thomas Jolly créé pour le Théâtre à l’Italienne, le premier cycle en janvier 2012, puis le second cycle en janvier 2014. Ce projet valorisera les nouvelles possibilités de la cage de scène et de la salle

Le metteur en scène Thomas Jolly, très remarqué en 2009 avec la mise en scène de Toâ de Sacha Guitry, va s’emparer du théâtre historique pour nous dire à nous, spectateurs et citoyens de 2012, son inaltérable poésie, sa force, sa modernité.

La note d’intention

La Piccola Familia travaille depuis 2006. Elle est un groupe de travail avant d’être une compagnie. Nous y tenons. Nous y veillons. Elle fut un cadre pour « grandir », pour définir puis affiner un vocabulaire de plateau, elle fut une cellule de résistance à la solitude et à l’inactivité que nous aurions connues. Plus ou moins. Mais nous voulions rester « chauds »,trier les outils, les mettre en commun et élaborer une identité forte, la nôtre.

3 créations ont émergé. Marivaux, Guitry, Ravenhill. 3 directions que nous avons choisies parmi toutes celles explorées en souterrain. 3 langues singulières pour rencontrer le public et dire que nous étions là. Pas loin.

Il y eut aussi l’invitation à se frotter à l’Histoire, le plaisir du ciel comme toit, de la nuit comme rideau et l’insolence de l’envahissement de l’espace public avec Une nuit chez les Ravalet.

Aujourd’hui et après 5 créations très diverses de l’écriture classique à l’écriture ultra contemporaine, en passant par les rouages de la comédie, le théâtre historique, déambulatoire et la confrontation avec la musique, les rencontres fortuites dans les châteaux de Cherbourg ou dans les toiles de Pontormo, le groupe est fort de chacune de ses expériences.

Il est temps. Le temps d’avoir moins peur.

Et continuer à nier les « même si... », et contrer les « oui mais... », et la nostalgie d’un « temps où l’on aurait pu... »n’existe pas parce que ce temps ne peut exister. Et nous nous en moquons, pour dire le vrai. Car nous ne l’avons pas connu. C’est ce qui nous rend inconscients. Et nous ne le connaîtrons pas. C’est ce qui nous autorise à l’être. Alors nous allons commencer. (Et nous finirons.)

Nous commençons à échafauder Henry VI de Shakespeare.

henry-vi-shakespeare.jpgHenry VI regroupe 3 pièces de William Shakespeare. 15 actes, 12000 vers, 150 personnages pour retracer 50 ans d’Histoire, le récit stupéfiant du règne de cet enfant proclamé roi d'Angleterre à l'âge de 9 mois, au milieu d'une guerre si longue que pour la nommer l'on dit - en se trompant - qu'elle a duré cent ans, jusqu’à son assassinat en 1471 par le futur Richard III.

C’est un projet ambitieux guidé par le désir de s’emparer de l’extraordinaire machinerie théâtrale que Shakespeare développe dans cette pièce-fleuve, mélangeant comédie et tragédie, politique et poétique, réalité historique et fiction théâtrale... et donnant au plateau son sens de terrain de jeu, au service des acteurs, de la mise en scène et du public.

Henry VI est une oeuvre monumentale... de jeunesse. La pièce n’est pas une promesse.

Tout le génie de l’auteur y réside mais encore fougueux, inconscient, déraisonnable. C’est peut-être à cet endroit qu’elle intéresse un jeune metteur en scène sur le chemin de sa réalisation : orgueil et exigence de la forme. Insolence et déraison de la joie créatrice.

Nous monterons l’intégralité. C’est ce que nous disons aujourd’hui. Parce que la réalité nous rattrapera bien assez tôt.

Mais surtout parce qu’à de trop rares occasions la pièce a été donnée dans son intégralité et qu’elle vibre, aussi selon moi, de ses longueurs, et du chaos généré par la dilatation du temps.

Aussi, parce que nous pensons qu’aujourd’hui le spectacle vivant se doit de requestionner et réhabiliter la notion de durée devant l’oeuvre.

Henry VI est une pièce écrite comme une « saga » ; on y retrouve les mêmes schémas narratifs que dans les grandes séries télévisées, tant dans la construction de l'oeuvre que dans ce qu’elle relate. Et cette notion de« série », d’ « épisodes », je souhaite la décliner dans le processus même de création du spectacle : Monter Henry VI est une aventure théâtrale hors normes, qui échappe à la standardisation des processus de production. L’ampleur de l’objet nous pousse à ré-interroger la construction d’un spectacle, à tous les niveaux. Nous allons devoir réfléchir, avec les partenaires, à de nouveaux schémas, une nouvelle façon de concevoir et d’accompagner le projet.

Cette réflexion, je l’ai intitulée : maKing Henry VI.

henry-vi.jpgSaison 2011-2012

Il s’agit avant tout de remettre au centre du processus la recherche, l’égarement. Sortir de l’efficace et du coup d’éclat permanent. « Travailler » (en un mot), plus que « faire ». Nous n’avons pas le choix.

Je propose donc que la création du spectacle final s’échelonne sur 2 années par des temps de résidences, des « épisodes » de création, à différents endroits. Une suite de rendez-vous pour et avec les spectateurs afin qu'ils accompagnent la construction même de ce spectacle. « Penser pour et avec les spectateurs », car l’un des enjeux majeurs de cette pièce repose sur la limpidité et la clarté des signes de mise en scène pour permettre au public de se frayer un chemin avec nous dans l’Histoire.

Même si Shakespeare ne présupposait jamais chez les spectateurs de connaissances historiques, il ne faut pas oublier qu’il écrivait à une époque et pour une audience plus proches des faits relatés que nous ne le sommes. Les « bouts d’essai » donnés à voir au public, constituent donc pour moi des indicateurs précieux. Mais au delà : Le format atypique du spectacle (environ 10 à 12 heures en intégralité) impose une relation singulière à la notion de durée et ré-interrogele rapport au temps, pour le public mais aussi pour la mise en scène.

L’ouverture publique s’avère donc indispensable dans la recherche de mesure et d’équilibre de la représentation.

Par ailleurs, un 2ème spectacle sera créé en parallèle du texte de Shakespeare. En écho. En miroir. Un petit spectacle, court, vif, comme quand, pendant la Renaissance les grandes pièces donnaient lieu à des parodies dans les théâtres plus modestes. Il s’agira de créer une petite forme relatant la guerre de cent ans et résumant les trois parties d’Henry VI dans un registre de jeu plus farcesque, inspiré du théâtre forain.

Cette seconde forme, modulable, permettra une plus grande souplesse au projet. Elle permettra par exemple de proposer, dans les lieux qui ne pourront accueillir qu’une seule des 3 parties, un prologue et un épilogue pour la clarté du récit. Elle permettra pourl es intégrales de constituer sur les parvis des théâtres un fil conducteur pendant les entractes.

Mais cette petite forme est aussi l’occasion de proposer un projet d’actions culturelles cohérent, en lien direct avec la création. Devenue autonome elle permettra de jouer dans les établissements scolaires une version d’Henry VI raccourcie et de proposer toutes sortes d’ateliers autour de l’Histoire. En décentralisation, dans les communes, sur les marchés, elle constituera une première approche/accroche du spectacle pour les spectateurs « isolés ».

C’est un début de réflexion.

Il nous reste à construire la dramaturgiePenser une scénographie.

Affiner une distribution. Constituer l’équipe des créateurs. Se nourrir des expériences, et demander des conseils et prendre les avis. Ouvrir encore des livres. On peut rêver sur Henry VI... fort et grand et beau, mais nous tâcherons d’être sages : l’imagination créatrice peut-être déraisonnée mais pas déraisonnable. Et construire un spectacle par le dépit, la frustration,n’est pas moteur. Nous partons donc avec ce que nous avons : la puissance des acteurs, l’envie et la réjouissance, la foi dans ce que nous entreprenons et le plaisir de s’y plonger... Ce n’est pas rien.

C’est ce que nous avons toujours eu.

C’est le principal. Nous travaillerons doucement pour construire, comme nous le pourrons un spectacle fort et grand et beau.


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